13 février 2011
Retour au pays natal
Mon rêve de manquer un train à grande vitesse à dix secondes près se réalisa à l’instant même où j’en conçus l’allégresse.
Il n’était déjà plus qu’un point silencieux à l’horizon lorsque mon regard balaya les quais déserts du dimanche. Tout autour, la préfecture mijotait comme un vieux ragoût à réchauffer sans cesse. Des assemblées de notables s’y étendaient à perte de vue.
Il n’était pas difficile de deviner que la vie commençait loin de ce bourg, bien au-delà des eaux dormantes et des banquets de carpes.
J’abandonnai là une valise remplie de calculs et grimpai le cœur léger dans un des derniers autorails capables de laisser quelqu’un descendre en marche.
(Extrait de : Le Grand Variable, éditions Éditinter, 2002.)
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08 février 2011
Interview
L’homme que j’attendais arriva exactement à l’heure prévue, ce qui me disposa assez mal à son égard. Je patientai, le temps qu’il fût bien assis, pour appuyer sur le bouton « marche » de mon petit magnétophone et je lui posai une première question stupide. Il s’en montra ravi et développa une réponse pétrie d’éloquence préfabriquée qui me permit de regagner au moins un quart d’heure de sommeil sur une matinée trop tôt commencée. Pour prolonger mon repos, je me fendis cette fois d’une autre question dont je connaissais la réponse. Comblé, l’homme y répondit longuement et je pus me rendormir sans qu’il parvînt à s’en apercevoir puisque je gardais les yeux ouverts et la tête haute. Hélas, ayant quitté le sommeil très superficiel qui me permettait de deviner, au ton de la voix de mon interlocuteur, qu’il allait bientôt finir, je m’assoupis profondément. Ma tête roula alors sur la table et l’homme démasqua mon sommeil clandestin.
Voilà pour l’essentiel de cette journée de désordre.
(Extrait de : Le Grand Variable, éditions Éditinter, 2002.)
00:26 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : interview, presse, journalisme, le grand variable, éditions éditinter, christian cottet-emard, magnétophone
24 janvier 2011
Résignez-vous !
Je ne me suis pas précipité pour lire Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Je me disais : le succès auprès du grand public de cette brochure ne risquait-il pas de ne s’expliquer que par le contraste, très prisé des médias, entre l’image vieille France (au sens noble du terme) de l’auteur et sa critique appuyée de l’action des pouvoirs en place ? On se prépare à une soirée chez l’ambassadeur et on se retrouve en train de refaire le monde comme au bon vieux temps de l’adolescence. Et ce n’était pas le paquet débordant d’Indignez-vous ! derrière le comptoir du libraire qui m’encourageait à baisser la garde. Avec tous les coups d’édition tordus qu’on nous mitonne depuis que le business remplace les idées, que voulez-vous, on finit par se méfier de tout et de tous...
Or, pendant que les nouveaux tirages se multipliaient, les discussions allaient bon train sur internet avec, bizarrement, des échanges plutôt nerveux entre blogueurs et commentateurs qui déclaraient au préalable n’avoir pas lu ou ne pas avoir l’intention de lire Indignez-vous ! . Diable, me suis-je dit, un opuscule agrafé qui n’a même pas besoin d’être lu pour alimenter autant de débats ! Lisons... Bon. C’est bien ce que je pensais : comment ne pas être d’accord avec Stéphane Hessel ? Il ne me restait plus qu’à ranger cette plaquette avec Matin brun de Franck Pavloff (Cheyne éditeur), autre best-seller miniature qui suscita il y a quelques années le même engouement populaire inattendu qu’Indignez-vous ! .
Cependant, aujourd’hui, alors que se succèdent les réimpressions d’Indignez-vous ! , je constate tout de même avec plaisir l’effet « poil à gratter » de ces quelques pages pourtant bien convenues, notamment sur le cuir endurci d’une droite qui a réussi à installer durablement dans les consciences sa vision désespérante de la vie humaine, une droite qui a perdu l’habitude de se faire contredire (en particulier par une gauche atone qui s’obstine à enclencher de nouveau la machine à perdre) une droite arrogante qui, tel un aspic enroulé au soleil et dérangé par peu de chose, n’en a pas moins le venin toujours prêt. Je n’en donne pour exemple que la réaction haineuse, dans le journal Le Monde du 14 janvier 2011 d’un président de plus (le pays en fourmille), celui-là étant « Président des Jeunes Actifs de l'UMP » et la phrase embarrassée du premier ministre Fillon : « L’indignation pour l’indignation n’est pas un mode de pensée » .
Vingt-quatre pages d’une plaquette publiée par un minuscule éditeur provoquant un commentaire agacé jusqu’au plus haut niveau d’un État qui met la société en soldes, il faut croire que les évidences sont parfois bonnes à redire, notamment lorsqu’on regarde à la télévision les images des ces salariés de l’automobile à qui on demande de renoncer à leurs acquis sociaux pour conserver leur emploi. Une femme hurle sa colère et dénonce l’arnaque. Un homme, fataliste, accepte en espérant qu’il sauvera peut-être son job alors qu’il sera jeté comme les autres, le moment venu, qu'il y laisse ou non ses congés payés ou pourquoi pas son salaire, l’Entreprise désormais Société Anonyme à Irresponsabilité Illimitée pouvant un jour juger qu’elle ne sera plus rentable parce que le personnel refusera de travailler bénévolement.
Pas étonnant que pour notre gouvernement, l’indignation ne soit pas un mode de pensée et que ceux de la caste dont il sert les intérêts préfèrent quant à eux ce mode de pensée beaucoup plus moderne, pragmatique et constructif qu’est la résignation.
02:13 Publié dans NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : indignez-vous !, stéphane hessel, politique, polémique, le monde, christian cottet-emard, le blog littéraire de christian cottet-emard




























